Une virée à la plantation
Nous étions réveillés à l’aube. Les coqs avaient mis sur leur podium souterrain leur orchestre cacophonique. Ils ameutaient tout l’univers pour susciter chez les habitants le goût du travail qui nourrissait son homme. Là-haut, dans les arbres, les poules admiraient leurs « Jules » crâner. Elles appréciaient leur virilité et recevaient davantage en elle, un amour incommensurable de gallinacés.
Nous entendions mon oncle limer son matériel. Il y avait des machettes, des houes, des couteaux… il leur remettait des dents en place pour qu’elles puissent servir efficacement. Nous étions désormais réveillés. Le jour avare qui tardait à céder l’espace à la nuit, avait fini par y percer ses entrailles.
Après que nous eûmes déjeuné de ce riz de la veille, chauffé à feux doux, nous primes la route des champs. Les oiseaux dans le ciel, semblait réaliser cette marche militaire avec nous. Ils planaient de leurs ailes déployées sur nos têtes et leurs mouvements gymniques dessinaient des arabesques qui nous séduisaient. Leurs chants étaient ponctués de notes qui faisaient jouir l’ouïe.
Le spectacle était impressionnant. Nous étions sur une voie assez large qui nous permettait d’avancer en bloc humain. À la remarquable façon de locomotion des poissons par bancs.
Le vent qui soufflait dans les hautes herbes,les faisaient se pencher sur notre passage, comme pour nous tirer la révérence. C’était majestueux cette communion profonde et totale avec la nature. Nous nous comprenions, nous nous respections.
Puis sur notre gauche, un chemin plus étroit se présentait. Telle une gorge qui allait nous engloutir pour pénétrer au coeur de l’anatomie de la forêt. Dès que nous prenions ce chemin, les choses se corsaient. La rosée s’invitait sur nos panards. Comme un mystère qui planait, nous qui étions si bruyants autour de mon oncle, nous taisions immédiatement. Apeurés par la densité du silence en ces lieux. Comme si nous avions la crainte de réveiller les génies imaginaires dans nos têtes d’enfants qui devaient être en train de nous observer. Nous étions dans leurs alcôves. Nous étions dans leur temple. Nous étions dans leur intimité. Un juste respect des choses, était nécessaire.
La file indienne que nous avions formée, avec la locomotive en tête par mon oncle, épousait le serpenté chemin. Nous étions en plein dedans, pour réaliser un travail journalier, qui allait nourrir la grande famille ce soir.
Par Kipré Pacome Christian, Ecrivain Journaliste et Pédagogue