MON DIPLÔME
C’était le nom que mon père avait attribué à mon fils en ces temps-là où dans une jeunesse insouciante, je m’étais livrée à une partie de légèreté qui m’a entraîné sur des chemins d’une violence inouïe pour une jeune fille de seize ans.
Je m’appelle Gervaise. Je viens d’une famille de neuf enfants dans laquelle mon père fonctionnaire arrivait à jongler pour nous tenir sur l’équilibre social. Nous étions cinq qui étions au second cycle. Il fallait qu’il nous assure le collège privé. Nous n’avions tous pas eu de chance comme les autres d’être des orientés boursiers de l’État. Alors papa devait se décupler telle une paramécie pour nous trouver des collèges. Dans son vocabulaire, je n’entendais que ces mots là : » prêts scolaires « . Je ne savais pas à cette époque ce que cela engendrait. Ma mère, analphabète, vendait sur les marchés scolaires des friandises pour l’aider à assurer.
Dans cette insouciance grandeur nature, aux aubes des années 90, un vent de grève soufflait sur notre scolarité. On nous parlait d’année blanche. Il se racontait que l’école fermerait ses portes et que nous serions en vacances ad vitam aeternam.
Pensiez-vous que cela ne nous enchantait pas? Bien au contraire, nous jouissions de cet état de fait, sans rien comprendre. Dans la cour de récréation, au milieu des chants aux aurores des oiseaux qui voltigeaient en dessinant des arabesques, comme pour nous manifester eux aussi leur liberté, nous débattions de cet événement que nous attendions tels des lapins de garenne.
Parmi nous, plusieurs avaient des informations capitales sur le mouvement. Certains faisaient les carpes. D’autres encore, ignorants à durée indéterminée comme moi, ouvraient la bouche pour sortir des inepties brocardes sur la situation. Semant ainsi un flou général dans nos esprits festivaliers.
Et puis un matin, pendant que nous étions en cours d’éducation physique, des sifflets ont retentis. Il s’agissait de ce mouvement de grève qui commençait. Les leaders nous demandaient de quitter nos établissements.
C’était la joie débordante dans une liesse collective sans précédent. J’étais en classe de troisième. Brillante élève et première de classe. Mon père était si fier de moi. Dans la fuite, je me suis retrouvée dans la voiture du père de Vanessa une fille de ma classe qui habitait les quartier huppés. Une amitié est née ainsi, et chaque jour, dans cette oisiveté impressionnante, j’allais chez elle pour passer la journée. Mon père, voulait tous nous déporter au village. Je lui avais menti que je préparais mes arrières en étudiant chez Vanessa. Il m’a cru. Et j’ai échappé au voyage familial. N’étais-je pas sa fille chérie?
C’est ainsi que Vanessa m’a fait connaitre la vie nocturne et les virées en boite de nuit. Ses cousins sont arrivés de vacances de France au mois de mai. Il y avait un grand métisse du nom d’Alexandre.
Il possédait une moustache qui me rendait folle.
Il avait un nez aquilin, un nez de blanc disions-nous. Et son phrasé me rendait dingue. Ma copine Vanessa avait organisé les choses bien comme il faut pour que je sois dans les bras de l’Apollon. Tout est allé très vite. Et durant trois mois, j’étais sa copine. Il me rendait dingue comme un bouquet d’arums.
Puis tout ceci a eu une fin quand cette joyeuse colonie a dû rentrer en France fin août pour eux reprendre l’école. Alexandre était en terminale. Il avait 18 ans. Nous nous sommes retrouvées esseulées. Enfin moi sans doute parce que Vanessa avait elle son petit ami. Nous n’étions pas de même milieu social. Elle parlait de pilules, de rendez-vous chez son gynécologue avec sa mère. J’étais loin de tout ceci, sans armes, sans soutien.
Un matin, je me suis réveillée et je n’allais pas bien. Immédiatement ma mère a lu une grossesse en moi. Elle me l’a dit en plus. Avec des menaces. Comme une idiote je n’avais même pas remarqué mes absences de règles.
J’étais enceinte de cinq mois. Mon père n’a pas supporté l’humiliation. Il m’a chassé de la maison. Ma mère, compatissante, m’a fait héberger chez une de ses amies. Une dame qui m’avait vu naître et qui avait un droit parental sur moi. J’étais comme sa fille. Elle me disait des choses que j’acceptais et qui m’ont forgé.
« Tu fais ce que ta maman et moi on fait avec vos papas, maintenant tu es une femme. »
S’il était vrai qu’elle nous avait aidé en m’hébergeant, elle refusait un rôle de chaperonne. Je devais moi même trouver les gestes adéquats et p
Adaptés pour le bébé. Ses réveils nocturnes elle n’en avait cure. Je gérais ce petit garçon toute seule. Épuisée de mon frêle corps qui avait subi les violences d’un accouchement difficile.
Évidemment, Alexandre n’a pas reconnu l’enfant. Mon papa disait que j’étais sa honte. Je rasais les murs quand je le voyais. Petit à petit, il a accepté la situation. J’ai eu deux ans de retard pour me remettre à l’école. J’avais perdu mon capital scolaire. Désormais, c’était en cours du soir que j’allais. La fameuse année blanche a été sauvée. Et moi je suis sortie de là avec un diplôme humain.
A toutes les filles des années 90 victimes de l’oisiveté…
Par Kipré Pacome Christian, Ecrivain Journaliste et Pédagogue