1 er JANVIER FAMILIAL
C’était avec une flopée de vins mousseux que chez nous on célébrait la nouvelle année. Evidemment en nous donnant l’illusion de consommer du champagne, ce vin fin et luxueux dont le nectar et ses bulles racées évoquaient les sucs des verts pâturages divins. Mes tantes maternelles et paternelles réunies chez nous disaient à mon père : « James du vin moussé là faut ouvERT çà on va boire mainant ». Nombreuses étaient les soeurs de mes deux parents qui n’étaient pas intellectuelles. Elles déformaient le français à leur façon et cela se comprenait en s’entendant. C’était d’ailleurs un langage codé dans une langue et on s’en accommodait au fil du temps.
Dans ce quartier populaire de Yopougon Sicogi où nous habitions, le quartier vibrait au rythme de la folie des fêtes de fin d’année. Au fil du temps qui passait, l’excitation prenait du volume et de la densité en nos êtres. On pouvait le noter à l’impressionnant bruit du trafic routier. Les voitures allient, elles venaient, s’en retournaient, klaxonnaient à la folie. La musique sortait des bars et se mêlait au bruit de ce trafic avec pour fond de soutien, l’air sec de l’harmattan. Il fendillait les lèvres les plus charnues et craquelait les peaux les plus douces.
Quand minuit sonna, James, (sobriquet de mon père) en alerte depuis le temps avec mes oncles et ses amis, firent exploser les bouteilles. Les femmes se levèrent telles des délurées. Elles trépignaient en scandant : » Bonne anié, bonne santié, bonne annié l’argent… » Puis, elle présentait des gobelets en plastique d’un aspect profond de contenance. Celui qui servait avait perçu leurs ruses.
La plus déjantée, ma tante Colette, édentée par un conflit brutal avec son ex époux menait les hostilités. Lorsque le serveur s’était arrêté de la servir, elle lui hurlait comme une commandante de régiment:
-Du vin moussé là c’est toi qui a payé ou bien c’est mon petit frère James?
L’homme, arborait un rictus. Elle l’enchainait:
-Sers moi vin moussé la-bas tu crois je suis ta camarade?
Le pauvre, alors qu’il avait reçu consigne de les servir avec parcimonie, le voyant tituber de la main, elle lui arracha la bouteille le sommant de s’en aller chercher une autre et de revenir pour le clan. Une autre, ma tante Germaine avait renchérit:
-Nous même on va se servir ATRE nous di vin moussé là!
Puis toutes rigolaient ensemble de leurs prouesses alcooliques. Il s’en retournait vers les hommes, se faisant admonester comme un poisson pourri, se faisant traiter par les autres de fiottes incapables de réaction devant des femmes. Voyant qu’il tardait, Tantie Colette, montait au créneau elle-même et savait « draguer » ces hommes là pour avoir son dû. Experte en danse cubaine, elle prenait un de ces hommes et c’était parti pour un tour de danse que toute la famille appréciait. Le couple dansait et Colette manipulait cet homme à sa guise. C’était mon oncle Jean-Yves. Il maitrisait juste quelque pas, là où elle faisait des figures géométriques. Un moment fort apprécié qui faisait lever toute la « garçonnerie ». Or entre temps, ma tante Colette avait mandaté une de son clan à subtilisé deux bouteilles de vin moussé pendant que les hommes avaient perdu la tête à la danse face aux trémoussements des femmes.
Lorsque c’était fini, elle réclamait une bouteille. Mon père la lui donna, sans s’en rendre compte qu’il avait subi un braquage pendant la danse. Elles s’en allaient toutes rejoindre leur base, assises sur une natte, se pintant comme des pinsons.
Ainsi finissait la nuit du réveillon qui donnait jour au premier janvier. Il était 6h du matin, ma mère avait sorti de grandes casseroles et les servantes avaient allumé six grands feux. Ces feux qui crépitaient auguraient d’une cuisine gastronomique familiale qui allaient éveiller les ogres que nous étions. Près de ce spectacle, avait dormi à la belle étoile mes tantes, ivres, mortes, les unes sur les autres, ronflantes telles des baleines, les gueules ouvertes, l’haleine distillée d’un mélange d’alcool et de gras. Tantie Colette se réveilla, triturée en son ventre par ses mélanges de breuvage. Elle se mit à vomir avec truculence et d’un bruit impressionnant. Réveillée par ce spectacle, toute la famille se mit à rire aux éclats. Ma mère rigolait en se secouant la tête: « Comment une femme peut boire comme ça? » Tantie Colette la lorgna, avec beaucoup d’amour. Elles partageaient cette relation-là. Entre belles-Soeurs avisées.
Par Kipré Pacome Christian, Ecrivain Journaliste et Pédagogue